Communiqué
les caisses de pension face à l'industrie financière
Neuchâtel, 3 octobre 2007. Les caisses de pension servent en premier lieu à gérer l'épargne des salariés en vue de leur retraite. Cependant, ce sont rarement les caisses elles-mêmes qui se chargent de placer ces fonds. Elles s'en remettent le plus souvent aux conseillers ou financiers de quelques grandes banques. Elles deviennent ainsi dépendantes de ces institutions financières qui exercent un large contrôle sur les choix d'investissement d'une bonne partie de l'épargne du pays. Tandis que l'épargne se récolte sur l'ensemble du territoire suisse, sa gestion se concentre sur un petit nombre d'institutions financières situées à Zurich et Genève, et l'investissement profite aux grandes entreprises cotées en bourse. Un mécanisme analysé par trois économistes régionaux de l'Université de Neuchâtel.
En Suisse, l'épargne des fonds des caisses de pension dépasse le PIB national depuis 1998. Elle représente une part considérable de l'épargne des ménages. Il importe donc de s'intéresser à son utilisation. C'est le but poursuivi par le groupe de recherche en économie territoriale (GRET) de l'institut de sociologie de l'Université de Neuchâtel qui sort une étude très complète sur la question.
Cette étude montre, entre autres, une filière longue et peu transparente entre l'épargne prélevée sur les salaires et l'investissement final. En effet, les caisses délèguent de plus en plus souvent la gestion de leurs fonds mobiliers (actions et obligations) à des banques. Et, principale révélation de l'étude, c'est l'industrie financière qui parvient finalement à investir les montants considérables prélevés par les caisses via les marchés financiers.
Curieusement, un très petit nombre d'institutions se partagent la tâche. L'étude distingue le trio suivant : banques privées, grandes banques du pays (UBS et Crédit Suisse) et banques cantonales (Swisscanto).
De plus, ces quelques gestionnaires « vont pour la plupart adopter des plans d'investissements similaires », relève l'étude. Concernant les placements en Suisse, étant donné la configuration des marchés, le portefeuille type d'une caisse comprend ainsi, d'une part, les actions de quatre sociétés (Novartis, Nestlé, Roche et UBS) et d'autre part, les obligations de quatre types d'émetteurs (obligations de la Confédération, obligations hypothécaires, obligations bancaires et obligations cantonales).
D'où une structure « en entonnoir » mise en exergue par les chercheurs. Tandis que l'épargne se récolte sur l'ensemble du territoire suisse, sa gestion se concentre sur un petit nombre d'institutions financières situées à Zurich et Genève, et l'investissement profite aux grandes entreprises cotées en bourse. Au contraire, les PME sont écartées de cette manne puisque ce type de placement régional n'est pas liquide et est considéré comme risqué par les acteurs financiers. De la même manière, les nouveaux circuits financiers d'investissements immobiliers se concentrent pour l'essentiel sur la région zurichoise.
Autre constatation mise en lumière par l'étude, l'épargne récoltée en Suisse par les caisses est aujourd'hui investie dans des circuits toujours plus lointains, comportant toujours plus d'intermédiaires et de plus en plus exclusivement selon les critères de gestion de la finance. En effet, pour des raisons de liquidité et de diversification des placements, les titres étrangers représentaient en 2004 plus de 51% du portefeuille actions et obligations (soit 155 milliards) contre 26% dix ans auparavant (29.6 milliards). Fini le temps où les caisses géraient elles-mêmes des immeubles dans la région et des portefeuilles d'obligations, principalement publics.
Au passage, les économistes régionaux neuchâtelois ont également jeté un regard sur les conséquences économiques, environnementales, politiques et sociales de la gestion actuelle des fonds de retraite. Alors que ceux-ci ont un horizon de placement à long terme (25-30 ans), les placements sont de plus en plus réalisés à court terme et presqu'exclusivement via les marchés financiers. Du point de vue de la gestion, les caisses de pension sont des organes paritaires (avec une représentation égale entre employés et employeurs). Dans les faits, on constate que les conseils d'administration des caisses sont très passifs et étroitement dépendant des conseils des acteurs financiers de la filière qui se déclarent « assez systématiquement hostiles à l'insertion de tout autre critère de gestion (durabilité, environnement, éthique, équité sociale, etc.) que ceux du rendement et du risque financiers », lit-on dans l'étude.
Contact
Trois chercheurs du groupe de recherche en économie territoriale (GRET) de l'Institut de sociologie de l'Université de Neuchâtel sont à l'origine de cette étude :
Dr. Olivier Crevoisier
directeur de recherche
responsable de l'étude
tél. 032 718 14 16
[email protected]
Dr. José Corpataux
INRS Urbanisation
Culture et Société
Université du Québec
Montréal
Canada
Thierry Theurillat
assistant-doctorant
tél. 032 718 14 35.
[email protected]