Communiqué de presse
Des champignons comme remède
Berne, le 4 octobre 2005. Un peu partout dans le monde, la vigne a mal à ses ceps, victimes de maladies qui dégradent son bois. Les plus inquiétantes se nomment esca et eutypiose. Avec le soutien du Fonds national suisse, des scientifiques du Pôle de recherche national « Survie des plantes » proposent une nouvelle stratégie pour freiner ce phénomène mortel pour la plante. Ils ont découvert que des champignons bénéfiques peuvent neutraliser les toxines favorisant la propagation des maladies.
Menaçant les cernes de bois clair qui délimitent la partie encore saine du cep de vigne, une masse brunâtre a déjà gangrené la moitié du tronc. Ainsi se présentent les dégâts de l'eutypiose, maladie causée par le champignon pathogène Eutypa lata. Une fatalité ? Pas si sûr, car des champignons bénéfiques pourraient neutraliser l'action néfaste de l'eutypiose.
La découverte des scientifiques du Pôle de recherche national « Survie des plantes » s'inscrit dans la lutte que mènent les chercheurs contre l'esca et l'eutypiose. Ces affections, propagées par des champignons, font des ravages dans les vignobles du monde entier. Elles restent difficiles à détecter en raison du long temps de latence, de quatre à dix ans, entre la contamination et l'apparition de symptômes visibles sur les feuilles ou les fruits.
80% des vignobles touchés
La situation s'est surtout détériorée dès 2001, époque à laquelle les viticulteurs du monde entier ont dû renoncer à un traitement réputé efficace, mais finalement interdit car contenant de l'arsenic, un élément toxique pour la santé humaine. Dans nos régions, où le recours à l'arsenic n'a jamais été autorisé, l'esca et l'eutypiose touchent plus de 80% des vignobles du bassin lémanique, avec un degré d'infection de la parcelle variant entre 0,2% et 20%, selon une étude d'Agroscope RAC Changins.
L'urgence de découvrir de nouveaux moyens pour traiter les vignobles ne fait donc pas de doute. D'où les recherches entreprises par Danilo Christen sous la direction de la professeure Geneviève Défago, de l'EPFZ. Elles reposent sur le fait que l'infection fongique est favorisée par la diffusion de toxines émises par les champignons pathogènes. On suppose que ces toxines aident à la progression des pathogènes à l'intérieur du bois en détruisant les structures au niveau cellulaire. Or, le merlot, cépage connu pour tolérer les assauts de l'eutypiose, dispose d'une enzyme qui transforme la toxine concernée, appelée eutypine, en un alcool inoffensif pour la plante.
Lutte biologique
C'est en se basant sur l'exemple du merlot que le groupe zurichois est parvenu, avec notamment l'aide d'Eliane Abou-Mansour, chimiste à l'Université de Neuchâtel, à mettre en évidence le même mécanisme de détoxication dans des champignons des genres Fusarium et Trichoderma. Ces champignons bénéfiques sont endophytes : ils poussent à l'intérieur des plantes. « Cela permet une lutte biologique contre ces maladies, le recours à des substances chimiques efficaces n'étant plus possible », explique Danilo Christen. « On pourrait par exemple tremper le matériel de greffage dans des bains contenant des spores de champignons bénéfiques ou encore injecter ces spores dans le tronc des ceps. »
De plus, les chercheurs ont identifié pour la première fois chez ces champignons une autre voie de dégradation: la transformation de l'eutypine en un acide. Cette action permet également de réduire les effets nocifs de la toxine, comme l'ont prouvé des tests sur des cellules de chasselas, un cépage très sensible à l'eutypiose et l'esca. Mais il y a mieux ! Quel que soit le mode de transformation, les champignons bénéfiques utilisent les résidus de cette dégradation pour se nourrir, augmentant leur prolifération, et renforçant ainsi potentiellement l'action protectrice sur la vigne.
Diagnostic précoce
Reste que les meilleures chances de protection résident dans la prévention des maladies du bois de la vigne. Danilo Christen a par exemple développé avec l'industrie une technique de diagnostic précoce, consistant à réaliser des mini-carottages dans le cep pour y prélever une petite quantité de bois prête à être analysée, et ceci sans aucune conséquence pour le reste de la plante. Les échantillons sont ensuite analysés avec des méthodes classiques.
La mise en évidence de l'esca s'avérait particulièrement difficile. En étudiant des ceps atteints d'esca, Katia Gindro et Olivier Viret, de l'Agroscope RAC Changins ont identifié pas moins de 45 champignons pathogènes liés à la maladie. Ils ont sélectionné les dix plus virulents, dont ceux capables de dégrader le bois. A chacun des champignons est alors associée une empreinte génétique spécifique. Cela permet de savoir, par des méthodes de biologie moléculaire, si un échantillon de bois sain en apparence n'est pas déjà contaminé par l'un des dix agents pathogènes répertoriés.
Si tel était le cas, la mesure la plus simple serait d'arracher le cep malade. Sinon, sachant que les spores pénètrent avant tout par les blessures résultant de la taille de la vigne, il convient de bien nettoyer les sécateurs propagateurs de spores, puis de désinfecter les plaies avant de les recouvrir d'une couche de mastic.
Et Danilo Christen de conclure: «Pour diminuer fortement l'impact de ces maladies, je pense qu'il faut avoir du matériel de greffage sain. Si les pépinières et le matériel de propagation sont exempts de pathogènes, une très grande source d'infection sera éliminée. Le contrôle de ce type de maladie ne passera que par une intégration de plusieurs moyens de lutte. L'utilisation de micro-organismes bénéfiques, du type de ceux que nous avons étudiés, sera un appoint non négligeable à cette stratégie ».
Renseignements sur le projet:
M. Danilo Christen
ETHZ
Institut für Pflanzenwissenschaften/ Phytopathologie
Universitaetstr. 2, LFW B32
CH-8092 Zürich
tél: +41 (0)1 632 48 36
e-mail: [email protected]
Dr. Eliane Abou-Mansour
Université de Neuchâtel
Institut de chimie
Av. de Bellevaux 51
CH - 2007 Neuchâtel
tél: +41 (0)32 718 24 78
e-mail: [email protected]
Dr. Olivier Viret
Agroscope RAC Changins
Service de pathologie végétale
Route de Duillier
CH - 1260 Nyon 1
tél: +41 (0)22 363 43 52
e-mail: [email protected]