Communiqué
Une étude fait des amibes les championnes de la biodiversité et révèle leur potentiel de biomarqueurs climatiques
09 septembre 2013
Jusqu’ici, il était couramment admis que les insectes représentent 80% de la biodiversité terrestre. Cette croyance est remise en cause par la vaste étude* sur un type d’amibe à coquille qu’un groupe de chercheurs va publier dans la revue Molecular ecology. Cette recherche démontre en effet qu’une même espèce morphologique cache en réalité 12 espèces génétiquement distinctes. Ce résultat suggère qu’il existerait plusieurs dizaines de milliers d’espèces d’amibes à coquille ! L’autre résultat majeur de cette étude, menée par Edward Mitchell, du Laboratoire de l’écologie des sols de l’Université de Neuchâtel et de ses collègues Thierry Heger et Brian Leander de l’Université de Colombie Britannique au Canada, est d’avoir établi que la répartition territoriale des amibes s’explique en bonne part par des facteurs environnementaux, ouvrant ainsi des perspectives d’études sur le réchauffement climatique.
Les amibes sont formées d’un corps cellulaire qui peut se déformer en créant des pseudopodes, petits prolongements leur permettant de ramper sur un support ou de capturer des proies microscopiques. Si les bactéries et les amibes pathogènes sont souvent étudiées, « puisqu’elles nous touchent de près au vu des maladies qu’elles peuvent nous occasionner », note le chercheur neuchâtelois, « les amibes de vie libres, c’est-à-dire non-parasites, qui évoluent dans les sols et les cours d’eau restent très méconnues ». Ce sont elles, et en particulier Hyalosphenia papilio, amibe commune secrétant un squelette externe, que son équipe a prélevées sur 42 sites de l’hémisphère nord. Surprise : les 301 amibes analysées, toutes identiques au microscope, se sont révélées correspondre à 12 espèces distinctes !
« Nos analyses ADN ont établi 12 clades (ndlr : espèces) génétiquement différents sur les 301 amibes prélevées. On situait jusqu’ici entre 2000 et 3000 le nombre d’espèces d’amibes à coquille, note Edward Mitchell. On peut donc estimer qu’il y a sur terre au bas mot 20’000 espèces d’amibes à coquille. » Et elles ne représentent qu’une petite partie de tous les protozoaires libres ! C’est pour le chercheur une satisfaction majeure de voir démontrée de façon si claire une diversité insoupçonnée jusqu’à présent.
Déjà utilisées comme bio-indicateurs pour reconstruire l’histoire des changements environnementaux, en suivant la progression de leurs communautés dans les sédiments, ces amibes s’avèrent aussi être d’excellents marqueurs climatiques. « Nous avons pu montrer que ce sont principalement des facteurs climatiques qui expliquent la répartition autour de l’hémisphère nord, bien plus que les limites de dispersion spatiales. En identifiant les différentes espèces sur la base de critères morphologiques fins, on pourrait reconstruire de manière plus fine les fluctuations climatiques passées sur la base de leurs fossiles. Ceci devra faire l’objet de recherches complémentaires.»
Un SOS pour les dernières tourbières suisses
Comme leur présence n’est pas uniforme, il est certain qu’il existe des espèces endémiques (ndlr : présence exclusive sur un site donné). « Il est donc fort probable que des espèces d’amibes soient en danger d’extinction ». Un risque particulièrement élevé pour des milieux naturels isolés comme les petites tourbières du Jura. « La mise en évidence d’une diversité inconnue de protistes libres pose la question de la protection, jusqu’ici négligée, des microorganismes», lance Edward Mitchell.
Cette étude sur ces amibes habitant les sphaignes des tourbières devrait ainsi influencer la gestion des dernières zones humides de Suisse. « Elles ont été à 90% détruites. Et on n’en trouve guère plus qu’un pourcent dans les conditions originelles, sans drainage. Mais dans toutes, on trouve une diversité caractéristique, comme le bouleau nain de la tourbière du Cachot, des papillons, libellules, etc. Il est probable que les tourbières jurassiennes abritent des espèces endémiques de microorganismes. Il faudra bien prendre en compte cette dimension lors des prochaines décisions politiques : en effet, il est clair désormais qu’une tourbière des Alpes ne saurait remplacer en termes de biodiversité une tourbière neuchâteloise. Il faut relancer le principe de précaution. Même pour un site tout petit, même perturbé, et surtout s’il est isolé, il faut le pré-ser-ver ! », martèle Edward Mitchell.
Prochaines étapes pour les chercheurs : examiner des échantillons en provenance d’autres tourbières du monde « pour mieux situer la répartition géographique des espèces et mieux situer leur nombre », mais aussi d’en apprendre plus sur le rôle fonctionnel, encore très mal connu, de ces organismes. « Il s’agira de manipuler des communautés et d’observer les effets induits », projette Edward Mitchell.
Protéger l’infiniment petit pour préserver les plus grandes espèces
Avec à l’horizon une autre révolution, cette fois pour le paradigme de l’espèce parapluie, qui veut que préserver l’habitat, par exemple de l’ours, sauve aussi par cascades de nombreuses autres espèces. « Or éthiquement, il n’y a pas plus de raisons de protéger le panda qu’un petit papillon ou une amibe. Bien au contraire : les protozoaires et autres microorganismes sont bien plus essentiels à la survie des écosystèmes, et donc de l’Homme, que la majorité des animaux emblématiques choisis par les organisations environnementales pour leurs logos et campagnes de financement », sourit Edward Mitchell.
Les sociétés évoluées protègent les plus faibles. Ne serait-il pas temps dès lors d’évaluer de manière objective si le monde microbien ne mérite pas aussi des mesures de protection ? Cette approche pourrait être un facteur clé du maintien de la biodiversité et des nombreux services qu’elle rend aux sociétés humaines.
Contact :
Professeur Edward Mitchell
Laboratoire de biologie du sol
Rue Emile-Argand 11
2000 Neuchâtel
[email protected]
Holarctic phylogeography of the testate amoeba Hyalosphenia papilio (Amoebozoa: Arcellinida) reveals extensive genetic diversity explained more by environment than dispersal limitation
En savoir plus :
* « Holarctic phylogeography of the testate amoeba Hyalosphenia papilio (Amoebozoa: Arcellinida) reveals extensive genetic diversity explained more by environment than dispersal limitation » Thierry J. Heger1, Edward A. D. Mitchell2, Brian S. Leander1. 1Departments of Botany and Zoology, University of British Columbia, 2Laboratory of Soil Biology, University of Neuchâtel
Article déjà en ligne dans Molecular ecology