Communiqué
Les gorilles de l’Ouest « votent » avant de se déplacer
23 octobre 2024
Les gorilles de l’Ouest se déplacent en groupe, ce qui implique une coordination de leurs mouvements dans la forêt, entre les phases de repos. Mais qui sonne le départ et choisit la direction ? Bien que le gorille mâle à dos argenté soit l'individu dominant et le plus puissant du groupe, des scientifiques de l'Université de Neuchâtel et du Muséum national d'Histoire naturelle ont observé que tous les membres semblent participer au processus de prise de décision.
Les gorilles de l’Ouest circulent beaucoup dans la forêt pour trouver leur nourriture, principalement constituée de fruits. Cependant, chaque membre du groupe peut avoir des informations et des besoins différents. Alors, comment se coordonnent-ils pour rester groupés ? Une équipe de scientifiques de l'Université de Neuchâtel et du Muséum national d'Histoire naturelle a étudié les vocalisations et les comportements de trois groupes de gorilles de l’Ouest dans les forêts tropicales de la République Centrafricaine. L’objectif ? Comprendre comment ces grands singes choisissent le moment de cesser de se reposer et de se mettre en mouvement. Un processus étonnamment démocratique, malgré le rôle dominant du gorille à dos argenté.
Dans la société des gorilles
Les gorilles de l'Ouest vivent en groupes familiaux, avec un seul mâle adulte - le « dos argenté » - entouré de femelles et de leur progéniture. « Les mâles et les femelles quittent le groupe lorsqu'ils atteignent la maturité sexuelle, mais les mâles restent plus longtemps et partent lorsqu'ils commencent à devenir eux-mêmes des « dos argentés ». Après une période solitaire, certains de ces mâles recrutent des femelles et forment leur propre groupe », explique Lara Nellissen, première auteure de l'étude. Cette espèce de gorille se déplace constamment, soit pour se nourrir, soit dans le but d’éviter des combats dangereux avec d'autres gorilles. Le groupe compte sur le mâle à dos argenté, deux fois plus grand que les femelles, pour le protéger contre d’autres « dos argentés » non-apparentés.
C'est probablement la raison pour laquelle les gorilles de l’Ouest, plus que d'autres grands singes tels que les chimpanzés ou les orangs-outans, préfèrent voyager ensemble et rester en permanence proches les uns des autres. « Pour les gorilles, il est crucial de maintenir la cohésion du groupe, » explique Lara Nellissen. « Or nous avons remarqué que les gorilles vocalisent avant le départ afin de s'assurer que tout le monde est d'accord. » Et malgré son importance dans le groupe, le « dos argenté » n'est pas le seul à s’exprimer !
Au début d'un voyage
L’équipe de recherche de l'Université de Neuchâtel et du Muséum national d'Histoire naturelle a analysé les vocalisations de trois groupes de gorilles de l'Ouest afin de déterminer comment ils choisissent le moment et la direction de leur départ. Les scientifiques ont observé que dans les cinq minutes précédant le départ, l'activité vocale des grands singes augmentait considérablement. Environ la moitié de ces cris, ressemblant à des grognements (« grunt-like calls »), faisaient partie d'échanges avec d'autres membres du groupe. Et plus le nombre d’individus participant à ces échanges était important, plus ils étaient susceptibles de se mettre en mouvement. « Nous avons
constaté que les gorilles étaient plus enclins à partir si un nombre élevé de membres du groupe avaient vocalisé, ce qui suggère que les gorilles pourraient réagir à un quorum : une fois qu’un nombre seuil d’individus s’est prononcé en faveur d’un comportement, le groupe entier l’adopte, » explique Lara Nellissen. De telles réponses de quorum ont déjà été décrites chez les suricates et les chiens sauvages. Elles peuvent permettre aux animaux de prendre des décisions rapides, sans avoir besoin d'une communication complexe.
Pour les scientifiques, cela va à l'encontre de la prédiction selon laquelle le « dos argenté » est le seul individu à décider du moment du départ: son consentement n'est en fait même pas nécessaire! Bien que les individus de haut rang soient plus susceptibles d'initier le départ et de le réussir – et par conséquent de déterminer la direction du départ – tous les membres du groupe peuvent influencer les prochains pas du groupe. Il s'agit maintenant de déterminer la teneur de ces échanges. «Nous pensons en effet qu'il existe des variations dans ces cris, et nous poursuivons nos recherches dans ce sens», ajoute Nellissen.
Sur les traces des gorilles
Pour collecter les données nécessaires à son travail, Lara Nellissen a passé 11 mois à étudier trois groupes de gorilles dans la forêt des aires protégées de Dzanga-Sangha, en République Centrafricaine, en collaboration avec le WWF CAR. « Nous avons effectué des suivis des animaux focaux, c'est-à-dire que nous nous sommes concentrés sur un individu différent chaque jour et pendant toute la journée », explique la chercheuse. Lorsque les gorilles se reposaient ensemble, les scientifiques enregistraient le comportement des membres du groupe et leurs vocalisations, notamment celles liées au départ.
Il était également essentiel pour la chercheuse de pouvoir reconnaître les individus à leur voix. Pour cela, elle a pu compter sur sa superviseure, la maître de conférences Shelly Masi, qui étudie ces gorilles depuis plus de vingt ans et sur son étudiante Silvia Miglietta, mais aussi sur les pisteurs Aka, chasseurs-cueilleurs de la forêt. «Déterminer l’identité du gorille qui vocalisait était difficile, surtout au début, mais les extraordinaires pisteurs Aka m'ont beaucoup aidée, et après avoir suivi les gorilles pendant quelques semaines, j'ai commencé à remarquer moi aussi des différences dans leurs voix», se souvient Lara Nellissen.
L'enregistrement des vocalisations des gorilles peut aussi aider à décrypter d’autres types de coopération. Selon des recherches antérieures menées par Silvia Miglietta, les gorilles collaborent également dans le domaine de la nourriture. «Nous pensons qu'ils produisent des appels liés à la nourriture pour informer les autres de la présence de nourriture abondante et de bonne qualité, et pour maintenir la cohésion du groupe», déclare Lara Nellissen.
Texte : NCCR Evolving Language
À propos du PRN Evolving Language
Le Pôle de recherche national suisse (PRN) Evolving Language est un consortium de recherche interdisciplinaire national qui réunit des groupes de recherche issus des sciences humaines, des sciences du langage et de l'informatique, des sciences sociales et des sciences naturelles à un niveau sans précédent. Ensemble, nous cherchons à résoudre l'un des grands mystères de l'humanité : Qu'est-ce que le langage ? Comment notre espèce a-t-elle développé la capacité d'expression linguistique, de traitement du langage dans le cerveau et de transmission systématique de nouvelles variations à la génération suivante ? Comment notre capacité linguistique évoluera-t-elle face à la communication numérique et à la neuro-ingénierie ? L'Université de Neuchâtel accueille le consortium en tant que co-institution mère.
À propos du Musée de l'Homme, Muséum national d'Histoire naturelle
Le Muséum national d'Histoire naturelle est une institution culturelle et scientifique majeure dédiée à l'exploration des merveilles du monde naturel. Fondé en 1820, il abrite de vastes collections allant de la zoologie et de la minéralogie à la paléontologie et à la botanique, ce qui en fait un centre essentiel pour la recherche et l'éducation. Inauguré en juin 1938, le Musée de l’Homme présente l’évolution de l’Homme et des sociétés, en croisant les approches biologiques, sociales et culturelles.
Contact :
Larissa Nellissen
University of Neuchâtel
[email protected]
Dr. Shelly Masi
Muséum national d'Histoire Naturelle
[email protected]
Media Relations - NCCR Evolving Language
[email protected]
Aurélie Pilch
Service presse du Musée de l’Homme
[email protected]
Télécharger le communiqué au format PDF
Crédit image: Larissa Nellissen