Communiqué

Professionnalisation de l’Ayurveda : vers un «Modèle suisse»

23 juin 2021

Longtemps marginalisé, l’Ayurveda est devenu une pratique médicale reconnue qui attire de plus en plus de patient-e-s et qui a entamé, depuis 2015, un véritable processus de professionnalisation. Comment explique-t-on cette évolution ? Quel impact son institutionnalisation a-t-elle eu sur la pratique de ce savoir ancestral ainsi que sur le système de santé suisse ? Quels enjeux contemporains de la santé met-il enfin en lumière ? Telles sont quelques-unes des questions abordées par Aline Sigrist, docteure en anthropologie de la santé, qui a mené des recherches en Inde et en Suisse pour comprendre entre autres ce que révèlent les pratiques et usages actuels de l’Ayurveda sur les réalités sociales et médicales helvétiques.

Si la médecine ayurvédique – littéralement science de la longévité – est issue d’un savoir indien vieux de plus de 2000 ans, cela ne fait que quelques décennies qu’elle connaît un véritable essor tant en Inde que sur la scène internationale. Aline Sigrist en est le témoin direct. Lorsqu’il y a dix ans, cette passionnée des religions indiennes et du sanskrit choisit d’étudier l’Ayurveda pour son mémoire de master en ethnologie, «c’était encore une pratique très marginale dans le champ médical suisse, car associé au domaine du bien-être et du Wellness», se rappelle-t-elle. «Or, c’est un système médical complet.»

Quand, à l’heure du doctorat, elle décide d’approfondir ses recherches dans ce domaine, l’Ayurveda a non seulement connu des transformations afin de s’adapter à un public non indien, mais il est aussi en Suisse en pleine professionnalisation, avec la mise en place en 2015 de deux diplômes fédéraux pour sa pratique et sa reconnaissance. «Initialement, je voulais comprendre les motivations des patient-e-s à recourir à l’Ayurveda, qui repose sur des conceptions du corps et de la maladie différentes de la biomédecine, au point de les amener parfois jusqu’en Inde pour bénéficier de cette thérapie. Suite à la mise en place de ces deux diplômes, j’ai élargi mon angle de recherche. J’ai décidé d’étudier l’essor de l’Ayurveda en Suisse, considérée comme un pays pionnier dans la reconnaissance institutionnelle de ce savoir, selon deux axes : l’un promotionnel, autour de sa professionnalisation ; l’autre en termes d’usages et de recours individuels, autour des patient-e-s.»

Pour mener à bien ses recherches, Aline Sigrist s’est basée sur deux terrains ethnographiques : en Suisse et en Inde, au Tamil Nadu et au Kerala (sud de l’Inde), où elle est partie plus de deux mois. Médecins, praticien-ne-s, thérapeutes, patient-e-s ayant effectué des cures Panchakarma : elle a rencontré une quarantaine de personnes, suisses et indiennes, pour comprendre leurs motivations et comment les pratiques ayurvédiques ont été adaptées à la législation suisse. Elle est même allée jusqu’à effectuer une cure pour pouvoir accéder à la vie d’un centre. «On est loin des soins bien-être prodigués dans les spas, relève-t-elle dans un sourire. C’est une médecine très exigeante.»

«Que ce soit dans sa pratique ou dans l’usage qu’en font les patient-e-s, l’Ayurveda évolue constamment, souligne-t-elle. Son succès s’explique par le fait qu’il offre des réponses différentes à la personne tout en étant en adéquation avec les valeurs sociales dominantes des sociétés occidentales, telles que l’individualisme. C’est une médecine holistique, qui prend en compte la personne dans sa globalité, mais c’est aussi une philosophie de vie, qui répond à des questions plus globales : il y a une quête de soin, une quête de sens, mais aussi une quête de soi.»

En analysant l’émergence récente de la pluralité des approches thérapeutiques «complémentaires» et leur reconnaissance institutionnelle grandissante en Suisse, Aline Sigrist met en lumière l’évolution des notions de santé dans les sociétés occidentales. Sa recherche éclaire de ce fait, de manière plus générale, les enjeux contemporains de la santé et révèle les nombreux facteurs – sociaux, culturels, politiques, économiques – qui s’y jouent.

Contact :

Aline Sigrist
Docteure en anthropologie de la santé
[email protected]


Coordonnées de contact complètes dans le communiqué au format pdf