Communiqué
Cachez ce travail que je ne saurais voir. Ethnographies du travail du sexe
Neuchâtel, le 5 mai 2010. Réunis sous le titre Cachez ce travail que je ne saurais voir. Ethnographies du travail du sexe, 10 articles issus d'un récent colloque organisé par la Maison d'analyse des processus sociaux (MAPS) et l'Institut d'ethnologie de l'Université de Neuchâtel viennent d'être publiés aux Editions Antipodes. Un ouvrage qui se penche sur le travail des métiers du sexe et qui rend compte des tâches qui le composent et des rapports sociaux qui le structurent.
Les métiers du sexe impliquent un travail : ils sont faits de tâches, de savoir-faire, de compétences et de techniques, plus ou moins formalisés ; ils sont régis par des codes et nécessitent des postures professionnelles face au monde ; ils correspondent à des statuts sociaux ; ils ont des noms. Comme pour tout autre travail rémunéré, il existe un marché structuré par des rapports de pouvoir qui déterminent qui bénéficie du travail de qui et sous quelles conditions. Les différentes formes du travail du sexe représentent ainsi un ensemble d'activités régies par des logiques collectives, comme le montre LILIAN MATHIEU dans une contribution d'ordre théorique : en considérant le travail du sexe comme un espace social à part entière, il devient possible de rendre compte des processus historiques d'inclusion, d'exclusion et de hiérarchie à l'oeuvre.
De quelle manière ce marché est-il donc structuré ? Quelques auteur-e-s ont planché sur cette question. Ainsi, MALIKA AMAOUCHE qui, en étudiant les « prostituées traditionnelles » du Bois de Vincennes à Paris, souligne les normes et les règles, et au final le système de valeurs, qui permet à ces prostituées d'exercer indépendamment tout en se distinguant des autres prostituées, notamment des femmes migrantes. Un tel processus de distinction d'un groupe à l'autre est également repérable parmi les prostituées chinoises à Paris, étudiées par MARYLENE LIEBER et FLORENCE LEVY. Ces femmes se présentent comme non professionnelles, parce qu'elles sont exclues des lieux de prostitution « traditionnels » et que par ailleurs elles assument très mal leur dépendance à l'égard de cette activité. Elles ont élaboré un savant système de justification qui leur permet de « le faire » sans pour autant se considérer comme prostituées.
La place du « sexe » dans le travail du sexe
Au-delà de l'activité sexuelle « en soi », le travail du sexe est le fruit d'autres activités méconnues. L'étude des tâches qui ponctuent les journées d'une prostituée pratiquant légalement son métier dans un salon en Suisse romande permet à ALICE SALA d'affirmer que les principales activités d'une prostituée sont loin d'être sexuelles. Le téléphone portable et la messagerie sms s'avèrent être, en effet, des instruments centraux à la bonne économie de l'activité prostitutionnelle de salon. Il s'agit d'attirer de nouveaux clients, en se présentant comme sexy, sans pour autant satisfaire d'emblée le client potentiel par téléphone ou par sms. Dans le même ordre d'idées, dans son étude sur les danseuses de cabaret, ROMARIC THIEVENT montre qu'il existe une autre série de compétences qui sont liées au travail du sexe qu'il dénomme les « compétences circulatoires ». Dans ce monde hautement transnational qu'est l'industrie des cabarets, les danseuses étudiées tentent de développer des stratégies de mobilité et des savoir-faire spécifiques dans le but de tirer un maximum de profit de leurs séjours en Suisse tout en minimisant les risques d'abus et d'exploitation qui y sont liés.
La dimension professionnelle engage également un système de gestion des sensations et des sentiments, que décrit MATHIEU TRACHMAN dans son chapitre sur la production de films pornographiques. Son étude met en lumière les nécessaires compétences de mise à distance que les actrices et acteurs, mais également les autres participants à la production, doivent maîtriser pour permettre d'effectuer leurs tâches sans dérapage, ni perte de temps. L'apprentissage de certaines techniques du corps représente évidemment une série de compétences centrales, qui comprennent la capacité de s'impliquer suffisamment pour bien simuler le plaisir tout en maintenant une séparation entre ces activités érotiques et un érotisme privé que les actrices et acteurs qualifient de plus « réel ».
Le sexe et l'amour : le contrôle des émotions
Si le travail du sexe nécessite une gestion de l'affect et de la sexualité, deux articles contrastés mettent en lumière la façon dont les personnes qui exercent un métier du sexe gèrent leurs identités privées et professionnelles. LOÏSE HAENNI montre comment une séparation nette entre activités économiques et investissement affectif peut être maintenue à travers les représentations du genre et de la sexualité chez les travestis brésiliens travaillant en Suisse. L'article de Marina Franca sur les parcours professionnels des prostituées des hôtels de Belo Horizonte au Brésil, en revanche, permet de montrer une autre facette du travail des émotions que nécessite ce genre d'activité. Bien que susceptibles de garder une distance nette entre activités du corps et mouvement du coeur, ces femmes basculent souvent dans des relations qu'elles qualifient d'intimes ou d'amour, cherchant à « sortir » de la prostitution par le biais d'une relation de couple stable.
Pour résumer :
Les études empiriques et ethnographiques réunies dans ce volume veulent enrichir les débats sur la prostitution et plus largement sur les activités économiques liées au sexe. Quelles que soient les (nombreuses) difficultés auxquelles ces personnes sont confrontées, elles possèdent de véritables savoir-faire, qui sont le fruit d'un apprentissage non ou peu reconnu et sont le reflet de compétences acquises selon diverses modalités.
Si une telle démarche n'est pas suffisante pour changer les rapports de pouvoir à l'oeuvre, et notamment les représentations genrées de la sexualité, il reste néanmoins que cette perspective oblige à mettre en cause la dimension schématique et manichéenne des représentations dominantes (de tous bords) et d'apporter une contribution à une meilleure connaissance des multiples formes de travail que nécessite le travail du sexe.
Contact
Janine Dahinden
directrice de la Maison d'analyse des processus sociaux (MAPS),
[email protected]
tél. : 032 718 3934
Alice Sala
collaboratrice à l'Institut d'ethnologie
[email protected]
Lilian Mathieu
chercheur au CNRS
[email protected]
tél. : 00 33 4 37 37 64 67
Ellen Hertz
professeure à l'Institut d'ethnologie
[email protected]
Marylène Lieber
chercheuse associée à la Maison d'analyse des processus sociaux (MAPS)
[email protected]
Commander
Les journalistes peuvent demander une copie de l'ouvrage chez l'éditeur : [email protected]