Communiqué
Enquête au tribunal neuchâtelois des bonnes mœurs
25 juin 2015
Enfants illégitimes, atteinte à la morale sexuelle, adultère, paillardise, absence du culte, travail du dimanche, danse, jeux, abus d’alcool, insultes, voies de fait. Tel était le quotidien des consistoires, ces tribunaux des bonnes mœurs mis en place dans les pays réformés. Une thèse a examiné près de 9000 affaires jugées en terre neuchâteloise pendant trois siècles. Le travail de toute une vie, ou presque, pour son auteure âgée de 65 ans.
L’auteure de la thèse Michèle Robert a dépouillé les très riches archives de la Seigneurie de Valangin et celles, plus lacunaires, de Môtiers, Travers et Gorgier. Ses recherches montrent comment l’exercice de la discipline a été l’objet d’un long conflit larvé entre la Classe des pasteurs et le gouvernement qui se disputaient la compétence de sanctionner les justiciables. Dans les premiers temps, on a pu parfois soupçonner les consistoires d’être une nouvelle inquisition. A partir du 18e siècle, alors que leur activité s’était réduite comme peau de chagrin, les élites finirent par les voir comme un tribunal des pauvres et des marginaux.
Les consistoires neuchâtelois n’ont pas échappé aux sombres affaires de chasse aux sorcières, toutefois cela s’est produit en nombre limité. A une époque où il n’y avait ni assurances sociales, ni notion de vie privée, beaucoup d’affaires témoignent aussi du souci de la communauté de prendre en charge les personnes marginalisées. Par exemple, l’abondance des procédures concernant les naissances illégitimes montre que le consistoire était le lieu où l’on essayait de forcer les pères à endosser leurs responsabilités pour que les enfants soient pris en charge. Ces procédures ont d’ailleurs augmenté en même temps que l’essor de l’industrie, qui a attiré de nombreux hommes venus d’ailleurs.
Neuchâtel possède des archives consistoriales qui vont des premiers temps après la Réforme en 1547 jusqu’à la Révolution de 1848. Il s’agit d’une durée exceptionnelle dans une Europe où les consistoires ont en général été abandonnés bien avant. Par exemple, dans les cantons suisses réformés, cela s’est arrêté en 1798, lors de l’instauration de la République helvétique.
Michèle Robert a consacré une grande partie de sa vie à l’étude de la justice consistoriale neuchâteloise. Commençant à s’intéresser à la question il y a une trentaine d’année, elle a mené ses recherches en parallèle à une carrière d’enseignante. Elle a décidé de prendre une retraite anticipée à l’âge de 62 ans afin de terminer sa thèse intitulée « Réforme et contrôle des mœurs : la justice consistoriale dans le pays de Neuchâtel (1547-1848). » La soutenance se tient aujourd’hui à 14h15 à la Faculté des lettres et sciences humaines.
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Quelques exemples de jugements du Consistoire de Valangin
- En 1552, Michel Vallangin est condamné à gagner sa vie autrement qu’en pratiquant la sorcellerie pour guérir les bêtes, à venir plus assidument au culte et à apprendre le Notre Père, «faute de quoi il sera châtié vigoureusement».
- En 1553, des gens du Locle et des Brenets sont mis à l’amende pour être allés «aux danses et à la messe à Morteau». L’amende est plus salée de 60 sous pour ceux qui refusent d’avouer leur faute.
- En 1568, Pierre Racine est condamné à une peine de prison, dont la durée n’est pas précisée. Il avait affirmé que les ministres du culte ne disent pas la vérité et qu’il faut être bien fou pour les croire.
- En 1569, Jacques d’Aulte a blasphémé et tiré la barbe de la personne qui lui a demandé de «baiser terre» (ce que chacun doit exiger de la part des blasphémateurs). Bilan : 1 jour de prison et une amende.
- En 1721, Abram Borel, présenté comme un « pilier de cabaret », est condamné à 8 jours de prison pour avoir manqué d’étrangler sa femme.
- En 1728, le consistoire inflige 3 jours de prison et réparation publique à Madeleine Matile, pour avoir faussement prétendu être enceinte d’Isaac Vuagneux.
De nombreux procès-verbaux de condamnation pour impureté, paillardise ou adultère indiquent «condamné selon le décret». Par exemple, un adultère est puni de 6 jours de prison, accompagnés souvent d’une amende et de l’obligation de pénitence publique au temple (jusqu’en 1755, ensuite la pénitence a lieu devant le consistoire).
A partir des années 1750, les peines de prison pour toutes ces infractions aux bonnes mœurs se raréfient, car les condamnés obtiennent sans difficulté la grâce du Conseil d’Etat.
Contact :
Michèle Robert
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