Communiqué

Les gentianes et la dérive des continents

10 juin 2015

Comment expliquer que des gentianes génétiquement proches se retrouvent à la fois en Afrique et en Inde ? Des séquences d’ADN et la datation de fossiles ont permis d'identifier un ancêtre commun à ces groupes de plantes remontant au Gondwana, un supercontinent unique datant d'avant la dérive des continents. Cette découverte a fait l’objet d’un article co-rédigé par un chercheur de l’Université de Neuchâtel qui paraît aujourd'hui dans la revue Biology Letters.

Il y a 165 millions d'années, le Gondwana, célèbre supercontinent, commençait à se séparer pour former ce que l’on connaît aujourd’hui comme l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Australie, l’Antarctique, Madagascar et l’Inde. Si l’histoire géologique du Gondwana est relativement bien connue, qu’en est-il de sa flore?

Par la dérive des continents, certains groupes d’espèces végétales génétiquement proches se sont retrouvés sur des terres fort éloignées, isolés les uns des autres par de vastes étendues océaniques. C’est par exemple le cas des Exaceae, un groupe de gentianes essentiellement africaines, malgaches et indiennes, mais que l’on rencontre également en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Comment dès lors expliquer la distribution géographique si particulière de ces espèces?

Deux hypothèses s’affrontent. La première dite de « la dispersion à longue distance » suggère que des graines ou autres propagules seraient transportées au gré des courant marins ou à dos de volatiles franchissant les océans. La deuxième hypothèse, celle de la « vicariance », propose que l’ancêtre des espèces actuelles existait déjà à l'époque reculée du Gondwana. La dérive des continents a alors isolé des représentants de cet ancêtre commun, évoluant par la suite indépendamment sur chaque continent. Cette dernière théorie est généralement négligée. Il paraît en effet peu probable que des représentants de gentianes aient pu exister en même temps que les dinosaures.

Afin de tester laquelle des deux hypothèses explique le mieux la distribution de ces gentianes, Jonathan Kissling de l’Université de Neuchâtel, ses collègues lausannois et sud-africains en ont étudié l’histoire biogéographique. Ils ont utilisé des séquences d’ADN pour reconstruire les relations de parenté entre ces espèces et y ont incorporé l’âge de certains fossiles pour estimer celui de leur ancêtre commun.

De façon inattendue, l’ancêtre commun des gentianes se révèle suffisamment ancien pour soutenir une origine gondwanienne. Néanmoins, la présence de certaines espèces, en Australie ou sur l’Ile de Socotra (sud du Yémen), ne peut être expliquée que par la dispersion à longue distance, leur âge étant bien trop jeune pour un scénario gondwanien.

Si ces recherches ont pu partiellement expliquer la distribution unique de ce groupe d’espèces, le mystère demeure. Les chercheurs laissent le soin d’imaginer comment certaines gentianes ont pu « émigrer », à au moins deux reprises, de l’Afrique du Sud vers l'Australie…

Jonathan Kissling est titulaire d'un doctorat en botanique évolutive de l'Université de Neuchâtel. Il est actuellement chercheur et chargé d'enseignement à l'Institut de biologie.

Le communiqué au format pdf
 

Contact :

Dr Jonathan Kissling
Laboratoire de botanique évolutive
Tél. : +41 32 718 23 60
[email protected]

 

 

Exacum affine Exacum affine: une endémique de l'île de Socotra (au Sud du Yemen). L'ancêtre de cette espèces et trois autres consœurs sont "arrivées" récemment sur cette île de l'Océan Indien.
Credits: (Photo: J. Kissling)