Communiqué

Sympathie et responsabilité morale vues par une philosophe

22 août 2023

Supposons que nous soyons témoins d’une scène de violence entre deux protagonistes : la sympathie que nous pourrions éprouver pour l’une des personnes nous fera certainement juger la seconde comme responsable de la rixe. Mais comment se passe ce processus ? Ce lien entre sympathie et responsabilité morale est un thème cher à la philosophe Cécile Rosat, titulaire d’un master de l’Université de Neuchâtel (UniNE) et actuellement doctorante en philosophie appliquée à l’ETHZ. Elle donnera une présentation vendredi à ce sujet dans le cadre du Congrès de l’Association des sociétés de philosophie de langue française (ASPLF) qui se tient jusqu’à samedi à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds. 

C’est par une saynète purement fictive que Cécile Rosat pose le départ de sa réflexion. «Imaginons que je surprenne Sam à tirer un coup de feu sur Olga. A priori, je m’indigne moralement de ce geste, et, par cette attitude en réaction à son action, le tiens pour responsable. Supposons maintenant que l’arme est en fait celle d’Olga qui aurait agressé en premier lieu Sam. Lui n’aurait fait que se défendre. Considérant la situation de son point de vue ou d’un point de vue informé, est-il toujours moralement responsable? Plus généralement, est-ce que la sympathie, en tant que capacité à se mettre à la place d’autrui, joue un rôle dans nos pratiques morales d’attribution de la responsabilité morale?»

La sympathie doit être comprise ici dans sa signification du siècle des Lumière : dans notre vocabulaire contemporain, elle correspondrait plutôt à de l’empathie. Et c’est à dessein: en effet, ce questionnement tire son origine des écrits d’Adam Smith, philosophe écossais du 18e siècle, sur le lien entre sympathie et responsabilité morale, écrits que la chercheuse a découverts au début de ses études à l’UniNE.

Cécile Rosat propose d’étudier ce lien en s’intéressant plus particulièrement au rôle de la sympathie dans les cas d’excuses, d’exemptions et de justifications. La sympathie peut être vue comme une compétence à attribuer une responsabilité à un acte donné. En sont alors logiquement exemptés tous les individus qui ne seraient pas capables de se mettre à la place d’autrui, qui manqueraient donc d’agilité à se projeter à la place de quelqu’un d’autre. «On peut penser ici aux enfants, aux dément-e-s et aux psychopathes. La conséquence de cette inaptitude au changement perspectival est une incapacité à se tenir soi-même pour responsable.»

«Dans le cas de Sam et Olga, poursuit la philosophe, le mouvement projectif que constitue la sympathie permet de disculper Sam en excusant sa conduite, puisqu’elle ne manifeste pas de mauvaise volonté. Dans le même temps, il permet aussi de justifier l’acte de Sam: tuer Olga n’est pas mauvais puisqu’elle était une sadique criminelle.»

Si le rôle de la sympathie est invoqué surtout dans le cas des exemptions, les cas des excuses et des justifications montrent que cette agilité perspectivale est aussi importante du côté de celle ou celui qui attribue la responsabilité. «Certes, convient Cécile Rosat, il est important que, pour prendre la responsabilité de ses actes, la personne fautive soit en mesure de se mettre à la place de celle lésée. Mais le changement de perspective est aussi important du côté de cette dernière. Tenir quelqu'un pour responsable requiert de comprendre qui est cet autre, et cet effort de reconnaissance, qui consiste à me mettre à sa place et adopter son point de vue, permet d'ajuster notre communication au récepteur du message de façon à ce que celui-ci soit compris et effectif.»

Contact :

Cécile Rosat
Doctorante en philosophie pratique
ETHZ
https://ethz.academia.edu/CécileRosat/CurriculumVitae
[email protected]

 

Pour le congrès de l’APSLF:
Daniel Schulthess
Professeur émérite de philosophie de l’UniNE
[email protected]


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